Abdellah Boularbah
2021 / 10 / 7
I- Introduction :
Cette modeste contribution est le fruit d’une réflexion sur la problématique de la pérennité de la participation communautaire dans un cadre de volontariat, à partir d’une expérience mise en œuvre depuis 2003 sur le site Zrarda. Il s’agit du projet intitulé Volontaire de Développement Communautaire(VDC) qui relie dans un cadre de partenariat la délégation provinciale de la santé de Taza, La GTZ (une ONG allemande) et l’association Adrar pour le développement et l’environnement à Tahla. Ce projet se résume tout simplement en la mise en place sur une zone montagnarde de Zrarda bien enclavée composée de 10 douars, d’un volontaire, un habitant du douar ciblé, choisit par la population de la localité elle-même pour lui fournir gratuitement sur place des prestations de planification familiale, de réhydratation par voie orale, de traitement des points d’eau et des services d’information, d’éducation et de communication.
Entre associatif on se pose souvent la question de la pérennité de ce projet. La réponse est que si le projet VDC continue depuis 2003 d’être, c’est parce qu’il a sa raison d’être. En effet, le projet qui se base sur l’approche communautaire a bien forgé sa place dans le quotidien des populations locales, d’abord parce qu’il répond à un besoin réel pressant de santé de base vu les conditions d’enclavement de la zone, et ensuite parce qu’il valorise des ressources humaines locales qui ont bien un savoir faire, une organisation sociale communautaire. Dès lors la pérennité de ce projet qui renvoi à la pérennité de la participation communautaire dans un cadre de volontariat, ne peut être pensée hors de ce cadre communautaire. C’est en analysant ce cadre communautaire, ses mécanismes de fonctionnement, ses problèmes que l’on peut proposer des solutions adéquates. Les structures communautaires de cette zone, qui avaient assurées à des dizaines de millier d’habitants de vivre durant des siècles en symbiose et en intelligence avec leur environnement, restent encore vivaces et bien ancrées dans leurs traditions et cultures et donc continuent à conditionner et à orienter leurs comportements. Notre expérience de terrain et notre connaissance de ces communautés nous ont permis de constater que celles-ci souffrent malheureusement depuis trois décennies d’un grave problème qui influe négativement sur leur production de richesses et donc sur leur bien être. Ce problème se résume en la difficulté d’intégration des jeunes scolarisés. Scolarisés et diplômés, un bon nombre, toujours croissant, de jeunes de ces communautés n’ayant pas trouvé du travail ailleurs, trouve des difficultés à s’intégrer à l’intérieur de la communauté. Les activités économiques traditionnelles basées sur l’effort physique ne conviennent plus aux compétences et aux niveaux d’instruction de ces jeunes. En définitive les piliers de la communauté qui supportent le poids de la reproduction de ses bases socioéconomiques restent à l’écart, marginalisés avec toutes les conséquences sur leur psychique, sur leur image sociale sans oublier les fortes tensions entre générations qui rongent ces communautés. La réponse à cette problématique réside en la redynamisation des structures communautaires locales par un effort des acteurs en place en matière d’intégration des jeunes de ces communautés.
Redynamiser les structures communautaires locales, c’est aussi mettre en place une nouvelle dynamique de développement communautaire qui assurera la pérennité de la participation communautaire sur une grande échelle tout en sauvegardant sa richesse qui réside dans une large mesure dans son aspect de volontariat.
II- Situation géographique et administrative
Le projet «volontaire de Développement Communautaire » dont l’association Adrar pour le développement et l’environnement est partie prenante a été mis en place sur le site Zrarda depuis octobre 2003.
Zrarda est une de ces sept communes rurales du cercle de Tahla qui relève administrativement de la province de Taza, Maroc. Avec une superficie de 172Km², la commune rurale Zrarda se situe géographiquement à l’extrémité nord-est du moyen Atlas. Elle est-limit-ée au nord, par la commune rurale Smiaa, au sud par le cercle d’Aharmoumou, à l’est par la commune rurale Tazarine et à l’ouest par la commune rurale Ait Seghrouchen.
III- Contexte socioéconomique et humain
Du point de vue population la commune rurale Zrarda est composé à majorité par une fraction (communauté) de la tribut ait Ouaraine: c’est la fraction Izarrouden. Répartie sur 22 douars, cette population a été de 10092 habitants selon le recensement de 2004 (dont 6232 h en Milieu rural).
Les principales activités économiques:
L’activité principale des habitants est l’agriculture dont une partie irriguée, et l’élevage. La superficie agricole utile avoisine 5224 hectares dont 400 ha en irrigué. La céréaliculture prédomine en bour et le maraîchage en irrigué. L’élevage tient une place encore importante dans les occupations quotidiennes de la communauté izarrouden vu les conditions favorables à son développement notamment le climat, le pâturages, les parcours et la forets (4677ha). La CR Zrarda compte Selon le recensement général agricole de 1996, 3040 têtes de gros bétail (1636 têtes de bovins et 1404 têtes d’équidés) et 25972 têtes de petit bétail (20258 têtes d’ovin et 5714 têtes de caprins). Enfin une faible minorité de la population s’occupe du petit commerce et de l’artisanat (poterie rurale et tapisserie ait ouarain)
Caractéristiques du site Zrarda : habitat éclaté et enclavement :
L’une des principales caractéristiques de la commune Zrarda reste le mode d’habitat éclaté. Seuls trois douars sont de type groupé, et 4 autres semi-groupé. L’habitat en pisé est majoritaire dans 18 douars, soit 82% de l’ensemble des douars de la commune.
L’autre caractéristique c’est l’enclavement. Ainsi seuls trois douars parmi les 22 sont accessibles par route goudronnée, deux ne le sont que par sentiers le reste par pistes en majorité non carrossables.
Les causes de cette situation sont la nature montagneuse du relief, l’importance des précipitations sur la zone, l’éparpillement de l’habitat, mais aussi le faible intérêt des pouvoirs publics à la zone.
L’eau potable : malgré les potentialités hydrique de la commune Zrarda le taux de desserte en milieu rural reste faible (8 %). Avec une distance moyenne des points d’eau de 0,5km et un temps moyen d’approvisionnement de 42 mn(minimum de 15mn pour 4 douars, et maximum de 2h30mn pour un seul douar) l’éloignement des habitations des points d’eau reste important, ce implique une corvée pour les enfants et les femmes.
La couverture sanitaire:
La couverture sanitaire est aussi parmi les points faibles de la commune Zrarda. Seul un seul centre de santé est disponible au centre urbain.
Voici un tableau qui résume les données sur la couverture sanitaire à Zrarda :
Etablissement Nombre
Hôpital 00
Centre de santé 01
Maison d accouchement 01
Cabinet médical (privé) 01
Pharmacie 02
Le Site d’intervention: n’est pas une terra nullus
Le site Zrarda a été choisit pour abriter le projet VDC dans la mesure où il est un site à faible couverture sanitaire, très enclavé, d’accessibilité difficile et à habitat éclaté. Mais sociologiquement parlant le site Zrarda au même titre que toute la zone Ait Ouaraine, n’est pas un espace vide ou vierge où on peut initier et réussir à volonté toute expérience. Bien au contraire c’est un espace bien organisé, un espace plein de vie, un espace qui a des valeurs une culture et une histoire. C’est grâce à son organisation communautaire, la jmaa, qu’il a assuré vivres et bien être durant au moins cinq siècles aux populations locales. Agir et surtout réussir nos actions sur de tels espaces nécessite un minimum de connaissance de cette organisation sociale communautaire.
L’approche communautaire: entre le technique et le social
La majorité des acteurs de développement local pensent que ce qu’on est convenu d’appeler « l’approche communautaire » est une récente création du « monde civilisé », de l’occident, qui est venue régénérer la démocratie représentative qui s’est essoufflée durant les 20 dernières années. L’approche communautaire est ainsi assimilée à une simple participation, à une simple technique que l’on peut mettre en œuvre et entretenir à volonté.
Dans notre expérience sur le site Zrarda, l’approche communautaire fait référence à un mode d’organisation sociale caractérisé par :
• Un fort ancrage à un territoire
• Une organisation locale du pouvoir
• Une économie solidaire de subsistance non marchande basée sur la participation et l’effort de tous les membres de la communauté
• Une culture valorisante et intégrante qui met l’accent sur les valeurs collectives
Communauté et gestion du territoire
La communauté gère son territoire sur les plans politiques, économique et culturel grâce à un savoir ancestral accumulé au fil des siècles et sur la base d’une division du travail équitable entre les différentes composantes de la communauté, entre les générations et les sexes, par le biais de l’assemblée de la jmaa et par le truchement d’organisations spécialisées dénommées Tazribte(association ou organisation), dont notamment Tazribte n’Rma(organisation des chasseurs), tazribte Ifallahen(organisation des agriculteurs), organisation pasteurs, etc…, et des lois(azrf) bien respectées puisque bien intériorisées.
Communauté et savoir : « Le lieu fait le lien »
La vie en communauté sur un territoire a plusieurs exigences qui découlent des contraintes et des menaces humaines sociales et spatiales. Faire face à ces menaces et contraintes renforce l’esprit de solidarité entre les membres de la communauté et développe leurs savoirs et leurs compétences. Le savoir s’accumule avec l’âge et la pratique. Les fréquentations et les relations avec l’extérieur peuvent l’enrichir, et le faire évoluer. Parmi ces compétences et ces savoirs on peut citer :
• le savoir lié à la gestion de l’espace pastoral --;-- (système Aydal)
• le savoir lié à la gestion du cheptel en matière d’adaptation des animaux au milieu local
• le savoir lié à la gestion du foyer
• le savoir lié à l’utilisation des ressources naturelles y/c en médication traditionnelle
• Le savoir artisanal qui s’est développé avec la fabrication d’outillage et d’ustensiles
• Le savoir lié à la gestion des problèmes de santé de reproduction.
Reproduction des bases sociales de l’organisation communautaires
Ce mode d’organisation communautaire reproduit ses bases sociales grâce à sa grande capacité d’intégration de ses jeunes générations par un processus de leur participation aux activités sociales économiques et culturelles de la communauté dès leur plus jeune âge et par un transfert de savoir faire entre générations.
L’organisation communautaire est-elle encore en vie?
La réalité socio politique et économique du Maroc confirme la vivacité des institutions communautaire locales. C’est d’ailleurs ce qui a amené les chercheurs Mohamed TOZY et Aderrahmane LAKHASSI à affirmer que « L’actualité du phénomène tribal au Maroc est difficile à nier »
Ainsi 1250 tribus cohabitent encore au Maroc, et la carte communale n’est pas loin de la carte tribale (environ1500 communes).
Institution encore vivace, la jmaâ intervient toujours dans des domaines aussi importants que la gestion de l’eau, des champs, des parcours, la protection du bois, l’organisation des différentes fêtes, des funérailles etc…
Les institutions communautaires peuvent être aussi source de blocage de plusieurs initiatives ou projets. Ignorer la réalité et la force de cette institution communautaire peut se solder par de mauvaises surprises pour bien des acteurs et des autorités. C’est le cas notamment de la résistance des communautés à certains projets, au boycotte collectif des élections(en 2007) et des mouvements concernant les terres collectives…
Où est le problème?
« Le moteur » communautaire est encore en marche, mais la « courroie de transmission grince ». Depuis 3 ou 4 décennies on constate une forte hémorragie de la ressource humaine particulièrement les jeunes. Tous les jeunes scolarisés particulièrement de sexe masculin sont presque automatiquement mis hors du circuit de l’organisation communautaire. Le niveau scolaire ouvrait plusieurs opportunités de travail particulièrement dans les secteurs de la fonction publique et de l’armée. Ce qui était toléré au départ par la population locale dans la mesure où il leur fournit un revenu substantiel, mais aussi par l’abondance de la main d’œuvre nécessaire aux activités économiques (familles nombreuses). L’acuité du problème de reproduction de l’organisation communautaire en lien avec ses jeunes apparaitra au grand jour depuis les deux dernières décennies par la conjugaison de deux phénomènes : Le vieillissement de la force de travail (la moyenne d’âge des paysans dépasse 55ans) et la crise de l’emploi dans le secteur public. Ceci a été fortement senti par la population locale que les tensions entre parents et jeunes enfants inactifs sont fréquentes. Aussi des réactions négatives contre la scolarisation ont été enregistrées dans plusieurs douars. Ainsi au douar Aghbal, l’un des dix douars du projet VDC, des membres de l’association Adrar en visite de suivi au douar ont été surpris en 2005 de trouver environ 30 enfants, en âge de scolarisation dans un Msid(école coranique) et non à l’école du douar. Intrigués par cette question nos associatifs avaient cherché la réponse auprès des habitants. La réponse a été tout simplement que tout enfant scolarisé est une main d’œuvre perdue à jamais pour la communauté.
En définitive le système communautaire se reproduit difficilement, bien qu’il ne soit pas mort.
IV- Santé de base et organisation communautaire : le projet VDC
Depuis octobre 2003 le projet VDC continue d’être, parce qu’il a sa raison d’être. Le projet qui se base sur l’approche communautaire a bien forgé sa place dans le quotidien des populations cibles. D’abord parce qu’il répond à un besoin pressant de santé de base. Ensuite parce qu’il valorise des ressources humaines qui ont bien un savoir faire, une organisation sociale communautaire.
Du coté de l’association Adrar, le projet VDC s’intègre dans le cadre de ses activités, dans la mesure où la santé reste un important déterminant du développement local. Il contribue à développer des alternatives pour assurer les services de santé de base en milieu rural et donc à alléger le poids du déficit en matière de couverture sanitaire. Enfin la conception globale du projet VDC cadre, dans une large mesure, à la fois avec sa conception du développement local, et avec son approche d’action. Pour Adrar le développement local est un processus d’apprentissage organisationnel, une praxis collective où la contribution de chaque individu, considéré à la fois comme maître et apprenti, est indispensable pour assurer le bien-être de la collectivité. De ce fait le développement local est indissociable de l’Homme(avec grand H) conjugué en genre et en nombre. L’Homme est une valeur inappréciable, une richesse intarissable.
Cette conception a amené l’association à se baser au niveau de ses actions sur l’approche participative. La mise en œuvre de celle-ci nécessite impérativement d’abord l’implication des bénéficiaires dans tout projet de développement économique ou social, pour mieux assurer sa réussite, à tous les niveaux d’élaboration et d’exécution, de suivi et d’évaluation du projet. Les efforts des bénéficiaires doivent être consentis et non imposés. Ensuite Adrar cherche à développer cette implication en une participation consciente, au cours d’un long processus d’apprentissage mutuel, de communication mettant en œuvre la sensibilisation, la conscientisation, le contact permanent, l’information et la formation.
V- Perspectives du projet VDC
Les débats et réflexions sur ce projet ont permis de relever deux importantes questions, la pérennité et le volontariat. Comment assurer en fin de compte la pérennité au projet VCD dans un cadre de volontariat? Cette question a été toujours posée en prenant en compte les ressources humaines engagées dans le projet, en l’occurrence les VDC. La majorité de ceux-ci ne sont pas des jeunes. Bien plus 60% parmi eux sont âgés de plus de 54 ans, 10% ont plus de 40 ans. Seul 30% ont entre 33 et 39 ans. Dans un tel projet qui se base sur un effort d information, d’éducation et de communication, les jeunes plus dynamiques, plus ouverts au changement et aux nouvelles méthodes d’actions, plus aptes à la formation et au développement de leurs compétences, auraient été plus efficaces. Malheureusement leur situation socioéconomique précaire, soulignée plus haut les rend instables. Ainsi sur les trois douars ou l’association a pu, difficilement, engager des jeunes, seul un volontaire est toujours en activité. Les deux autres ont été changés plus d’une fois. Les VDC les plus âgés sont au contraire bien stables, mais faiblement dynamique. A cela se pose avec acuité le problème de leur relève bientôt, vu leur âge. Il est vrai que deux cas de préparation à la relève ont été enregistrés, celui d’une jeune fille d’un VDC et celui d’un jeune proche d’un autre. Mais on revient à la source du problème, celui de l’intégration des jeunes
Résoudre la question de l’intégration des jeunes par une redynamisation des structures communautaires locales par un effort des acteurs en place par l’initiation d’activités alternatives à leur profit, par une valorisation d’importantes potentialités naturelles de la zone, notamment dans les domaines du tourisme solidaire, des plantes aromatiques et médicinales et du savoir-faire artisanal local, c’est assurer une meilleur perspective à la participation communautaire que ce soit dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive ou dans celui du développement local en général. C’est donc joindre l’utile à l’agréable.
Enfin, il impératif de renforcer cette expérience par une implication des communes, des autres départements ministériels (Agriculture, Equipement, Eaux et Forêts et autres) et une implication encore plus poussée des acteurs actuellement engagés. Cette doléance est justifiée non seulement par la réussite du projet devenu partie intégrante du quotidien des populations cibles, mais également par le fait que tout problème de santé peut être réduit à une question de comportement qui peut être amélioré par l’IEC. Que l’on songe aux MST-Sida, aux maladies hydriques ou aux maladies chroniques, etc., il y a toujours cette affaire de comportement face soit aux vecteurs de morbidité, soit à la gestion de la maladie quand elle s’installe.
Abdellah Boularbah
Président Association Adrar
pour le développement et l’environnement
à Tahla Maroc
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